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Titel
Les essais d’une vie. Charles Borgeaud (1861-1940)


Autor(en)
Weibel, Luc
Erschienen
Neuchâtel 2013: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
467 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Nicolas Gex, Université de Lausanne

Né au Sentier et porteur d’un nom vaudois, Charles Borgeaud (1861-1940) est avant tout associé à Genève, ville dont il recevra la bourgeoisie d’honneur en 1924. Au bénéfice d’une double formation d’historien (docteur en philosophie, Iéna, 1883) et de juriste (docteur en droit, Genève, 1886), l’homme a marqué le paysage intel- lectuel, académique et historique genevois de la première moitié du XXe siècle. Membre fondateur de la Société académique de Genève (1888), il deviendra professeur extraordinaire d’histoire des institutions politiques de la Suisse (1896), puis professeur ordinaire de droit constitutionnel et d’histoire nationale (1898) à l’Université de Genève ; historien de cette institution, membre actif du comité à l’origine du Monument international de la Réformation, il fera partie de la délégation suisse à la Conférence de Paris (1919). C’est à cette figure imposante que Luc Weibel, son petit-fils, a consacré cet excellent ouvrage.

Davantage qu’une biographie stricto sensu, ce livre est « l’histoire d’une époque » (p. 7), malgré son caractère fragmentaire comme Luc Weibel le précise avec modestie en introduction. Cette perspective ambitieuse permet d’aborder la trajectoire de Charles Borgeaud à partir des réseaux familiaux, académiques, amicaux ou associatifs qu’il fréquente durant une quarantaine d’années. Le récit s’arrête en 1903 ; deux raisons à cela. La date coïncide premièrement avec le décès de la mère de Charles Borgeaud, Anne Louise Borgeaud-Frainnet ; principale correspondante de son fils, qui constitue la figure centrale de cette étude, dont le lecteur suit la vie durant ces mêmes années. La relation mère-fils se trouve être finement mise en récit par Luc Weibel dans une sorte de dialectique entre l’immobilité de la première et le mouvement perpétuel du second : « En sorte quecettehistoired’ungrandintellectuel – revenuaubercailaprèsses«Lehr-undWanderjahre» – est aussi l’histoire d’une femme qui n’avait cessé de penser à lui, et qui nous a offert ainsi, sans le savoir, le récit de sa vie, telle qu’elle s’est déroulée dans la Genève du XIXe siècle, dont elle nous laisse une image aussi vive qu’inattendue. » (p. 10) Deuxièmement, 1903 marque la stabilisation, voire l’institutionnalisation de Charles Borgeaud. Luc Weibel avoue très honnêtement en conclusion ne pas s’être senti suffisamment à l’aise pour évoquer les années de « consécration », préférant évoquer Borgeaud en « jeune homme au seuil de la vie, incertain sur son avenir, investissant sans compter dans des recherches qui le passionnaient, sans bien savoir où elles le mèneraient, et sans avoir choisi le lieu où il a finalement bâti sa maison. » (p. 458). Le pari est pleinement réussi. Reste un seul regret, celui que ces réserves nous ont laissé sur notre faim...

Cette enquête biographique repose sur une documentation importante et largement inédite : la correspondance de Borgeaud. Formée pour l’essentiel des lettres reçues par ce dernier, elle a été soigneusement conservée par la famille. Ces échanges forment la principale base documentaire à partir de laquelle Luc Weibel a construit son récit, en y joignant les écrits contemporains de Borgeaud, toujours remis en contexte et soigneusement commentés. Une telle masse de lettres s’explique en partie par l’itinérance du jeune homme. Grâce à ses correspondants, il est tenu au courant de ce qui se passe dans les différents milieux qu’il fréquente habituellement à Genève. La famille occupe une part centrale de ces échanges. Les lettres entre la mère et le fils évoquent par exemple le rôle de chef de famille que le jeune homme a dû endosser au décès pré- coce de son père (il avait 16 ans), diverses questions touchant à la gestion de la fortune familiale ou au sort des proches (en particulier Henri le frère cadet). Une part importante de la correspondance de Borgeaud pro- vient de camarades de la Société d’étudiants de Zofingue. Il s’y est fortement engagé alors qu’il étudiait le droit à Genève et y a noué de solides amitiés. Le réseau développé durant ces années et sans cesse entretenu lui sera d’un grand soutien à différents stades de sa carrière, grâce aux vastes ramifications dans les milieux influents de la Cité de Calvin qu’il offre. Les liens avec le monde scientifique, nés lors des séjours à l’étran- ger, forment un autre réseau fort étendu. Plusieurs savants étrangers, parfois illustres, ont été des guides pri- vilégiés, dont le contact a permis à Borgeaud d’être introduit dans différents champs académiques et scientifiques (allemands, français, anglo-saxons) et d’être initié à de nouvelles méthodes scientifiques. Ces expériences ne cesseront de nourrir ses propres travaux.

Luc Weibel a valorisé cette riche matière en recourant à de nombreuses et longues citations, toujours bien choisies. À aucun moment, l’auteur n’a cédé à la facilité ou s’est laissé entraîner par les propos de tel ou tel correspondant. Chaque extrait est remis en contexte et, au besoin, assorti d’un commentaire critique. Cette approche permet à l’auteur de souligner les influences subies par Borgeaud, tout en le montrant à la jointure de plusieurs univers, réseaux et cultures. Il en résulte une impression de récit polyphonique focalisé sur Borgeaud.

Organisé en chapitres chronologiques, cet ouvrage permet de suivre le Genevois à travers divers lieux de formation (au sens large du terme), qui l’entraîneront de Genève à Genève, en passant par Weimar, Iéna, Paris, Londres et Marseille. La linéarité du récit est cassée par le recours ponctuel à des excursus destinés à attirer l’attention du lecteur sur tel ou tel acteur et son importance pour la trajectoire de Borgeaud. La richesse de l’ouvrage nous interdit de rendre compte soigneusement de l’ensemble. Un des fils rouges qui le traverse est constitué par le développement et l’affirmation de la pensée de Borgeaud. À travers diverses expériences et influences émergent certains thèmes centraux de son œuvre, notamment divers questionnements autour de la démocratie. On voit s’esquisser la thèse de la filiation de la démocratie moderne à partir de la Réforme. Borgeaud rappellera toutefois que «La démocratie est fille de la Réforme, non des Réformateurs» (p. 230).

À côté des recherches et des tâtonnements du jeune chercheur, Luc Weibel montre un Borgeaud aux prises avec un certain nombre d’options pour son propre avenir. Grâce à un chapitre décisif, Luc Weibel évite toute illusion rétrospective ou téléologique rendant le choix de Genève inévitable, puis qu’il présente de manière détaillée les opportunités qui s’offraient au Genevois en 1893-1894 : la France, le monde anglo-saxon ou la Suisse et Genève (pp. 369-404).

Plus que la biographie intellectuelle d’un juriste et historien libéral genevois, Luc Weibel propose à son lecteur une passionnante plongée dans le dernier tiers du XIXe siècle. En se servant pour guide d’un jeune homme en formation, sans cesse tiraillé entre l’immensité de la recherche et ses territoires encore vierges et Genève, où on ne cessait de l’y appeler, c’est l’histoire d’une époque que l’auteur nous propose. Elle est réussie.

Zitierweise:
Nicolas Gex: Rezension zu: Luc Weibel, Les essais d’une vie. Charles Borgeaud (1861-1940), Neuchâtel: Alphil, 2013. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 272-273.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 272-273.

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